15 juillet au matin, lendemain des attentats de Nice ! Comment poursuivre cette chronique ? Hagard, choqué, inquiet, triste, en colère, partagé entre tous ces sentiments et bien d’autres, ce matin les mots ont beaucoup de mal à trouver leur place sur le papier. À quoi bon ce petit reportage de l’intérieur du festival d’Avignon ? À quoi bon, même, ce festival ?! Peut-on encore faire la fête ? Nos petits spectacles ont-ils encore un quelconque intérêt face à la toute-puissance dramatique de la réalité ? Tout semble soudain si futile…

Et pourtant.

J’imagine qu’aujourd’hui les festivaliers n’auront pas le cœur à rire… Nul doute que certains, par peur de se retrouver dans une foule, cible privilégiée des terroristes,vont annuler leur séjour en Avignon. Hier, week-end du 14-Juillet oblige, les rues de la ville étaient bondées. Beaucoup de théâtre, y compris le nôtre, avaient affiché complet. Une atmosphère joyeuse, festive, flottait dans l’air. Aujourd’hui, écrivant tôt ce matin, les rues d’Avignon sont encore désertes, et je ne peux m’empêcher de redouter que ça soit comme ça toute la journée. Les passants, tout comme nous, ne pourront (et ne devront) faire semblant, faire comme s’il ne s’était rien passé. Il suffit d’un homme avec un camion pour gâcher la fête.

Et pourtant, les terroristes ne doivent pas gagner. Leur stratégie de la peur et la division, aux antipodes de ce qui régnait ici ces derniers jours, ne doit pas triompher. Mais que faire ? Avons-nous le pouvoir d’inverser les choses à notre toute petite échelle ? J’ai l’impression d’être écrasé par le poids des enjeux, du drame. Et, pas très loin, je sens poindre l’indifférence, mon détachement – si pratique et rassurant ! – face à la fatalité des événements.

Il me revient cette phrase attribuée à Churchill. Lorsqu’en pleine offensive nazie contre l’Angleterre on aurait demandé à Winston Churchill de couper le budget de l’art et de la culture pour l’effort de guerre, il aurait répondu : « Mais pourquoi nous battons-nous, alors ? » Cette citation apparemment fausse (au pays du théâtre, on n’est pas à une fiction près) est un credo auquel je veux m’arrimer.

S’il suffit d’un homme pour basculer dans le drame, il en faut peut-être un seul pour inverser la tendance. Et ici, dans le plus grand théâtre du monde, nous sommes une légion à croire en ce que nous faisons. Aujourd’hui, je continue à écrire ; aujourd’hui je vais continuer à parader, à être en lien avec les gens en terrasse, dans la rue, à échanger un instant avec eux un sourire, un petit moment complice éphémère sans doute, mais tellement nourrissant ! Aujourd’hui, je vais aller sur le plateau, et que ce soit devant cinq personnes ou les cent dix de la salle pleine, je vais jouer avec mes tripes, avec mon cœur. Parce que c’est pour ça que je suis fait, parce que je sais que le théâtre distrait, mais aussi éduque, enseigne, fait réfléchir… Et pendant une heure et dix minutes, nous serons, les spectateurs, les comédiens, les régisseurs : ensemble !

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« Tous ceux qui aiment ce festival devraient avoir à cœur de lire ce récit, pour comprendre la réalité de ce que vivent ceux par qui il existe : les artistes. »

La Provence